Le Cochon par Jules
Renard
Grognon,
mais familier comme si nous t’avions gardé ensemble, tu fourres le
nez partout et tu marches autant avec lui qu’avec les pattes.
Tu caches sous des oreilles en feuilles de betterave
tes petits yeux cassis.
Tu es ventru comme une groseille à maquereau.
Tu as de longs poils comme elle, comme elle la peau claire et une courte queue bouclée.
Et les méchants t’appellent : « Sale cochon ! » Ils disent que, si rien ne te dégoûte, tu dégoûtes tout le monde et que tu n’aimes que l’eau de vaisselle grasse.
Mais ils te calomnient.
Qu’ils te débarbouillent et tu auras bonne mine.
Tu te négliges par leur faute.
Comme on fait ton lit, tu te couches, et la malpropreté n’est que ta seconde nature.
Tu caches sous des oreilles en feuilles de betterave
tes petits yeux cassis.
Tu es ventru comme une groseille à maquereau.
Tu as de longs poils comme elle, comme elle la peau claire et une courte queue bouclée.
Et les méchants t’appellent : « Sale cochon ! » Ils disent que, si rien ne te dégoûte, tu dégoûtes tout le monde et que tu n’aimes que l’eau de vaisselle grasse.
Mais ils te calomnient.
Qu’ils te débarbouillent et tu auras bonne mine.
Tu te négliges par leur faute.
Comme on fait ton lit, tu te couches, et la malpropreté n’est que ta seconde nature.
Sonnets Gastronomiques de
Charles Monselet
Le Cochon
Car
tout est bon en toi : chair, graisse, muscle, tripe !
On
t'aime galantine, on t'adore boudin.
Ton
pied, dont une sainte* a consacré le type,
*[Sainte Ménehould]
Empruntant
son arôme au sol périgourdin,
Eût
réconcilié Socrate avec Xantippe.
Ton
filet, qu'embellit le cornichon badin,
Forme
le déjeuner de l'humble citadin;
Et
tu passes avant l'oie au frère Philippe.
Mérites
précieux et de tous reconnus !
Morceaux
marqués d'avance, innombrables, charnus !
Philosophe
indolent, qui mange et que l'on mange !
Comme
dans notre orgueil nous sommes bien venus
A
vouloir, n'est-ce pas, te reprocher ta fange ?
Adorable
cochon ! animal roi ! — cher ange !
Le Cochon par Xavier
Aubryet
(La cuisinière poétique - 1859)
Le cochon, cet animal encyclopédique.
Grimod de la Reynière
Les
animaux dont le sort est de passer,— des clairières odoriférantes,
du bois profond, de la plaine vagabonde, de la basse-cour grasse et
sensuelle, aux casseroles d'un rose luisant des cuisines, aux
tournebroches d'acier qui réverbèrent le feu,— tous ces animaux,
pour ainsi dire ne meurent pas tout entiers.— Ils n'avaient pas
exclusivement vécu pour manger, on ne mangera qu'une partie
d'eux-mêmes.
On
se souviendra d'eux après le dîner où ils figurent.— Ce brave
pigeon, affligé de la crapaudine, il s'est rengorgé
bien souvent dans des langueurs tendres et des roucoulements pâmés.—
Il traversait le jardin avec un gros bruissement d'ailes soyeuses. Ce
mouton, réduit en côtelettes Soubise, — cette
petite robe de mousseline-laine que porte le dimanche une grisette
pour de bon,— me le rappellera toujours quand elle passera dans ma
rue;— ce mouton a habillé Clémence.— La ramure du cerf
se suspend au-dessus de l'énorme cheminée, dans la cuisine d'un
vieux château de province.— La tête d'une bécassine, trophée
mélancolique et séché, décore la salle à manger du petit
propriétaire rural.— Cette oie, pelotonnée dans un
abreuvoir de graisse, qu'enferme une grande cuvette d'argent, cette
oie, antique régal,— avec une de ses plumes, on écrira peut-être
: volupté.— La queue belliqueuse de ce coq si dodu va
flotter sur le bicorne d'un chasseur de bonne maison, ou sur
la coiffure d'un militaire tartare.— D'ailleurs, ce coq ne vous
a-t-il pas réveillé fort à propos plus d'une fois, lorsque vous
rêviez qu'on allait vous couper la gorge ?— Quel charme avec ce
cri perçant et bourgeois, tandis qu'à travers vos persiennes,
l'aube encore sans soleil dissipait déjà les monstrueux fantômes
des ténèbres!— Ce sanglier farouche, dans une de ses
défenses, façonnée en boîte à ouvrage, une adolescente, blanche
et amoureuse, serre sa broderie du soir. Toutes ces victimes de la
table en appellent, pour ainsi dire, à la postérité.
Seul
d'eux tous, le cochon sera oublié.— Il n'a vécu que pour
manger, il ne mange que pour mourir.— Il mangeait tout ce que
rencontrait son groin goulu, il sera mangé tout entier.— Il
mangeait toujours, on le mangera toujours;— jambon fumé ou lard
séculaire... on le suspend au plafond bruni des cuisines. Sa
gourmandise ignoble est expiée d'une façon terrible. Les autres
animaux, ses confrères, ne pensaient pas qu'à leur appétit;— en
les voyant, on ne pensait pas qu'à les manger.— Le pigeon faisait
des élégies amoureuses, le coq avait des caprices turcs;— le cerf
était charmant, fuyant à travers les taillis clair-semés;—
l'oie, cette madame Patin des volailles, prenait avec
majesté des airs de cygne fort réjouissants;— le bécassine
se profilait, svelte, avec son bec en aiguille et sa houppe délicate,
au-dessus de l'étang lourd et mat;— le mouton rappelait
M.de Florian, madame Deshoulières et Rosa Bonheur.— Le cochon est
tout simplement un immense plat qui se promène, en attendant qu'il
soit servi.— Par une sorte de photographie de sa destination
future, tout annonce, du reste qu'il doit être mangé, mais mangé
de façon à ce qu'il ne reste pas de lui un osselet, un poil, un
atome.
Cette
peau, rose et tachetée de noir, figure déjà la galantine truffée;—
ce fessier, résistant et fourni de barde, indique déjà le dessin
d'un jambon; la tête, aux yeux recouverts d'une pellicule d’œufs
ou d'une pelure de fruit, au groin barbouillé, aux oreilles plates
et roides, annonce déjà ces hures raccommodées qui flattent les
gros mangeurs;— les pieds souillés de boue et couleur de friture
ont l'air de s'en aller à Sainte-Ménehould !
En
le voyant passer, l'un dit: "Que de belles crépinettes!"
l'autre: "Quelles aunes de boudin!" celui-ci suppute le
nombre de rôtis.— Il semble que ce ne soit pas un animal qu'on
regarde.— Et, quand on l'a dévoré tout entier, personne ne dit:
C'était un beau cochon!