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jeudi 7 juillet 2016

Le cochon vu par des écrivains


Le Cochon par Jules Renard

Grognon, mais familier comme si nous t’avions gardé ensemble, tu fourres le nez partout et tu marches autant avec lui qu’avec les pattes.
Tu caches sous des oreilles en feuilles de betterave
tes petits yeux cassis.
Tu es ventru comme une groseille à maquereau.
Tu as de longs poils comme elle, comme elle la peau claire et une courte queue bouclée.
Et les méchants t’appellent : « Sale cochon ! » Ils disent que, si rien ne te dégoûte, tu dégoûtes tout le monde et que tu n’aimes que l’eau de vaisselle grasse.
Mais ils te calomnient.
Qu’ils te débarbouillent et tu auras bonne mine.
Tu te négliges par leur faute.
Comme on fait ton lit, tu te couches, et la malpropreté n’est que ta seconde nature.



Sonnets Gastronomiques de Charles Monselet

Le Cochon

Car tout est bon en toi : chair, graisse, muscle, tripe !
On t'aime galantine, on t'adore boudin.
Ton pied, dont une sainte* a consacré le type,                                *[Sainte Ménehould]
Empruntant son arôme au sol périgourdin,

Eût réconcilié Socrate avec Xantippe.
Ton filet, qu'embellit le cornichon badin,
Forme le déjeuner de l'humble citadin;
Et tu passes avant l'oie au frère Philippe.

Mérites précieux et de tous reconnus !
Morceaux marqués d'avance, innombrables, charnus !
Philosophe indolent, qui mange et que l'on mange !

Comme dans notre orgueil nous sommes bien venus
A vouloir, n'est-ce pas, te reprocher ta fange ?
Adorable cochon ! animal roi ! — cher ange !


Le Cochon par Xavier Aubryet
(La cuisinière poétique - 1859)


Le cochon, cet animal encyclopédique.
Grimod de la Reynière

Les animaux dont le sort est de passer,— des clairières odoriférantes, du bois profond, de la plaine vagabonde, de la basse-cour grasse et sensuelle, aux casseroles d'un rose luisant des cuisines, aux tournebroches d'acier qui réverbèrent le feu,— tous ces animaux, pour ainsi dire ne meurent pas tout entiers.— Ils n'avaient pas exclusivement vécu pour manger, on ne mangera qu'une partie d'eux-mêmes.
On se souviendra d'eux après le dîner où ils figurent.— Ce brave pigeon, affligé de la crapaudine, il s'est rengorgé bien souvent dans des langueurs tendres et des roucoulements pâmés.— Il traversait le jardin avec un gros bruissement d'ailes soyeuses. Ce mouton, réduit en côtelettes Soubise, — cette petite robe de mousseline-laine que porte le dimanche une grisette pour de bon,— me le rappellera toujours quand elle passera dans ma rue;— ce mouton a habillé Clémence.— La ramure du cerf se suspend au-dessus de l'énorme cheminée, dans la cuisine d'un vieux château de province.— La tête d'une bécassine, trophée mélancolique et séché, décore la salle à manger du petit propriétaire rural.— Cette oie, pelotonnée dans un abreuvoir de graisse, qu'enferme une grande cuvette d'argent, cette oie, antique régal,— avec une de ses plumes, on écrira peut-être : volupté.— La queue belliqueuse de ce coq si dodu va flotter sur le bicorne d'un chasseur de bonne maison, ou sur la coiffure d'un militaire tartare.— D'ailleurs, ce coq ne vous a-t-il pas réveillé fort à propos plus d'une fois, lorsque vous rêviez qu'on allait vous couper la gorge ?— Quel charme avec ce cri perçant et bourgeois, tandis qu'à travers vos persiennes, l'aube encore sans soleil dissipait déjà les monstrueux fantômes des ténèbres!— Ce sanglier farouche, dans une de ses défenses, façonnée en boîte à ouvrage, une adolescente, blanche et amoureuse, serre sa broderie du soir. Toutes ces victimes de la table en appellent, pour ainsi dire, à la postérité.

Seul d'eux tous, le cochon sera oublié.— Il n'a vécu que pour manger, il ne mange que pour mourir.— Il mangeait tout ce que rencontrait son groin goulu, il sera mangé tout entier.— Il mangeait toujours, on le mangera toujours;— jambon fumé ou lard séculaire... on le suspend au plafond bruni des cuisines. Sa gourmandise ignoble est expiée d'une façon terrible. Les autres animaux, ses confrères, ne pensaient pas qu'à leur appétit;— en les voyant, on ne pensait pas qu'à les manger.— Le pigeon faisait des élégies amoureuses, le coq avait des caprices turcs;— le cerf était charmant, fuyant à travers les taillis clair-semés;— l'oie, cette madame Patin des volailles, prenait avec majesté des airs de cygne fort réjouissants;— le bécassine se profilait, svelte, avec son bec en aiguille et sa houppe délicate, au-dessus de l'étang lourd et mat;— le mouton rappelait M.de Florian, madame Deshoulières et Rosa Bonheur.— Le cochon est tout simplement un immense plat qui se promène, en attendant qu'il soit servi.— Par une sorte de photographie de sa destination future, tout annonce, du reste qu'il doit être mangé, mais mangé de façon à ce qu'il ne reste pas de lui un osselet, un poil, un atome.

Cette peau, rose et tachetée de noir, figure déjà la galantine truffée;— ce fessier, résistant et fourni de barde, indique déjà le dessin d'un jambon; la tête, aux yeux recouverts d'une pellicule d’œufs ou d'une pelure de fruit, au groin barbouillé, aux oreilles plates et roides, annonce déjà ces hures raccommodées qui flattent les gros mangeurs;— les pieds souillés de boue et couleur de friture ont l'air de s'en aller à Sainte-Ménehould !

En le voyant passer, l'un dit: "Que de belles crépinettes!" l'autre: "Quelles aunes de boudin!" celui-ci suppute le nombre de rôtis.— Il semble que ce ne soit pas un animal qu'on regarde.— Et, quand on l'a dévoré tout entier, personne ne dit:

C'était un beau cochon!